Lamia Oualalou, de notre correspondante à Rio de Janeiro
L’automne prochain, si tout va bien, Ricardo Mendonça retournera voir ses parents, à Itatuba, une petite bourgade de l’Etat de Paraiba, dans le Nordeste brésilien. Cela fait des mois que le jeune homme, économise pour se payer le voyage depuis Rio de Janeiro. «Je ne les ai pas vu depuis 2003, même avec le téléphone, c’est dur », soupire-t-il.
Ricardo avait 18 ans quand il a quitté son village, poussé par un instinct de survie et la promesse d’hébergement d’un oncle, installé à Rio de Janeiro. «Je viens d’une famille très pauvre. Avec mon frère, on travaillait tous les matins dans les champs, pour aider nos parents. L’après-midi, on allait à l’école, en bicyclette, à 8 kilomètres de la maison », raconte-t-il. Au total, le foyer parvenait à dégager un revenu de 100 reais (45 euros) par mois. «Nous buvions l’eau du fleuve, on tombait tout le temps malade. Rester, c’était me condamner », se souvient-il.
A Rio de Janeiro, l’adolescent trouve un emploi de concierge. Encouragé par ses professeurs, il rêve d’entrer à l’université. Il lui faudrait pour cela débourser 600 reais (270 euros) par mois, inaccessible. «J’allais laisser tomber, quand on m’a parlé du ProUni. J’ai tenté ma chance, et j’ai reçu une bourse. Dans trois ans, je serai diplômé en droit ! », lance Ricardo. Le programme, lancé en 2005 par le gouvernement fédéral, offre des bourses partielles ou intégrales à des étudiants pauvres, pourvu qu’ils soient performants.
Pour convaincre les institutions privées, qui ont toujours boudé ce public, l’Etat leur offre des exonérations fiscales. En cinq ans, plus de 700 000 étudiants ont bénéficié du programme, changeant le visage de l’université. La mesure a fait boule de neige : s’apercevant que ces étudiants s’intégraient parfaitement, plusieurs universités ont baissé leur frais. En novembre 2009, quelque 31% des 5,9 millions d’inscrits à l’université venaient de familles à bas revenu. La proportion a doublé par rapport à 2002.
« Comme mes parents sont analphabètes, au début, ils n’ont pas bien compris pourquoi je voulais étudier. Maintenant, ils pleurent de fierté. Tout ça, c’est grâce à Lula. C’est le premier à penser que même si on naît pauvre, on doit avoir sa chance. Avant lui, tout était prédéterminé pour nous», assure Ricardo. « Pour mes parents aussi, la vie s’est transformée. Ils ont droit à des crédits d’agriculture familiale, on nous installé l’eau dans le village, ma mère a même pu prendre sa retraite », poursuit-il avec fougue.
Des histoires comme celle de Ricardo, le Brésil en compte par millions. A trois mois de la fin de son second mandat, c’est un pays métamorphosé que le président Luiz Inacio Lula da Silva livrera à son successeur. Lorsqu’il accède au Planalto, le Palais présidentiel à Brasilia, c’est un pays sans grande espérance qui accepte de donner sa chance au turbulent barbu, omniprésent sur la scène électorale depuis le rétablissement de la démocratie, en 1985.
Dès la première élection au suffrage universel, en 1989, Lula est bien placé. L’ex-syndicaliste, qui a dirigé les grandes grèves des années 1970 contre la dictature et créé, en 1980 le Parti des Travailleurs (PT) promet le grand soir. L’élite et la télévision terrorisent la classe moyenne en assurant qu’en cas de victoire de la gauche, ils devront héberger chez eux un sans-domicile fixe : Lula est défait.
En 1994, puis en 1998, c’est la soif de stabilité qui offre deux mandats consécutifs au Parti de la Sociale-Démocratie Brésilienne (PSDB). Son leader, le sociologue Fernando Henrique Cardoso, est le visage du « Plan Real », qui a créé une nouvelle monnaie et mis fin au cauchemar de l’hyperinflation. «On lui doit la stabilisation de l’économie. Mais le PSDB n’a rien proposé de plus aux plus pauvres. Au bout de quelques années, ça n’a plus suffit », analyse Marcus Figuereido, politologue à l’Université d’Etat de Rio de Janeiro. C’est très impopulaire que Cardoso quitte le pouvoir, fin 2002. «Lula a assumé son héritage, en reprenant à son compte une politique monétaire et économique contraire à ce qu’il prêchait. Mais, parallèlement, il a mis en place une politique sociale pour aider les plus pauvres, dans le milieu urbain aussi bien que rural », ajoute l’universitaire.
Le chef d’Etat regroupe les quelques mesures sociales de son prédécesseur, et leur donne une étendue jusqu’alors inimaginable. Le nom du programme en résume l’objectif final : « Faim Zéro ». Sa mesure phare, « Bolsa Familia » (« bourse famille »), démarre en 2004, avec le versement d’une allocation aux familles les plus modestes, en échange de la scolarisation et le suivi médical des enfants. Versant entre 22 et 220 reais (entre 10 et 100 euros), selon le revenu et le nombre d’enfants, il touche aujourd’hui 12,6 millions de foyers, soit une bonne cinquantaine de millions de Brésiliens. Le petit carton jaune permet aux familles d’enrichir les repas, et relance le commerce dans les municipalités les plus pauvres, en particulier dans le Nordeste, où la concentration de bénéficiaire de la bourse est le plus élevée. Les villes peuvent aussi bénéficier du programme «sécurité alimentaire », qui fournit les crèches et écoles, met à la disposition des familles les plus pauvres une banque des aliments, ainsi que « Restaurants populaires » qui offrent des repas complets pour un real (0,44 euro).
L’origine des aliments est une autre façon d’augmenter les revenus dans les zones rurales : pour avoir droit aux subventions publiques, il faut s’approvisionner auprès de l’agriculture familiale. Les petits paysans reçoivent des crédits pour s’équiper, bénéficient de programmes d’irrigation, de l’installation de citernes, ainsi que de l’arrivée de l’électricité dans dix millions de foyers, avec le plan « Lumière pour tous ». En décidant, tous les ans, d’augmenter le salaire minimum très au-dessus de l’inflation – de 54% entre 2003 et 2010 – le gouvernement augmente le revenu de 27 millions d’employés et de 18,5 millions de retraités, dont la pension est indexée sur le salaire minimum, qui atteint aujourd’hui 520 reais (231 euros).
Pour la première fois de l’histoire, le Brésil assiste à une réduction continue, et inédite, des inégalités. En deux mandats, 24 millions de Brésiliens sortent de la misère, alors que 31 millions entrent dans la classe moyenne. Géographiquement, la redistribution est nette. «Tout le Brésil est en effervescence, mais dans le Nordeste, on trouve des croissances à la chinoise, de 10, 12% », précise Marcus Figuereido.
Les attaques sur l’assistancialisme font long feu. «Les politiques sociales sont responsables d’un tiers de la réduction des inégalités, le reste est généré la hausse des revenus du travail», calcule Marcelo Neri, économiste de la Fondation Getulio Vargas, à Rio de Janeiro. Pour lui, ceux qui expliquent la popularité du chef d’Etat sortant par une image de « Père des pauvres », n’ont pas saisi l’ampleur des métamorphoses. « Lula n’est le père de personne : il est l’incarnation de l’ascension sociale, la personnification du nouveau héros brésilien, qui est le travailleur, avec un contrat de travail, et des droits », insiste-t-il. En sept ans, plus de 14 millions d’emplois formels ont été créés, en dépit d’un travail au noir encore élevé. «Le Brésil a changé d’échelle, dans la décennie 1990, on créait 600 000 emplois par an, on est passé à 1,4 million par an sous Lula », dit Marcelo Neri.
Là encore, le rôle de l’Etat est central. Après avoir vu ses prérogatives remises en cause dans les années 1990 à travers une politique fiscale rigoureuse et des privatisations, il reprend sa place. Les universités publiques, fragilisées par le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso, qui tablait sur une privatisation de l’éducation, reçoivent des crédits qui leur permettent d’augmenter les professeurs et de s’étendre. Le second mandat de Lula est dominé par le « Programme d’Accélération de Croissance », qui investit 262 milliards d’euros dans le développement des infrastructures (ports, routes, ponts etc..), l’habitat social, l’urbanisation des favelas, et surtout, les politiques énergétiques.
«Si je devais choisir une scène qui symbolise le changement de cap avec Lula, c’est sa décision d’en finir avec l’achat à l’étranger de plateformes pétrolières pour l’entreprise publique Petrobras, et les faire au Brésil », déclare Marcus Figuereido. «Cela a relancé la construction navale, moribonde, mais au-delà, c’est une orientation idéologique aux conséquences énormes», dit-il.
Lorsque Petrobras révèle l’existence, au large des côtes brésiliennes, de gigantesques gisements de pétrole – la plus importante découverte des trente dernières années dans les Amériques – Lula demande à sa majorité de changer le cadre législatif, pour en finir avec le régime de concessions, trop généreux, selon lui, envers les multinationales étrangères. Petrobras devient l’entreprise privilégiée, et les bénéfices à venir iront à un Fonds souverain destiné à financer l’éducation, la santé, et à améliorer les conditions de vie des plus pauvres.
Car si le Brésil a beaucoup changé, et vite, il reste un des pays les plus inégaux dans le continent le plus inégal du monde. Avec le boom des dernières années, les autorités et une partie des analystes ne sont pas à l’abri de la complaisance et de l’autocélébration. Même si le nombre de foyer ayant accès à l’eau courante a augmenté de 30% au cours de la dernière décennie, douze millions de familles en sont encore exclues, alors que 56% des domiciles n’ont pas de tout à l’égout. La mortalité infantile a chuté, mais les conditions d’accueil de la santé publique restent déplorables. L’université publique relève la tête, mais le Brésil comptait encore 14 millions d’analphabètes en 2008, et l’enseignement dans ses écoles et lycées, où les professeurs sont payés une misère, est un des plus mauvais d’Amérique Latine. Malgré quelques expériences intéressantes dans la politique de sécurité, la violence continue à tuer au Brésil plus de 40 000 personnes par an, un chiffre digne d’un pays en guerre.
Marcelo Neri est toutefois optimiste : les études montrent qu’au lieu de se réfugier dans la consommation, les Brésiliens, même les plus pauvres, investissent d’abord dans l’éducation de leur enfants. « Avant, le sentiment d’urgence était tel que chacun ne pensait qu’à son quotidien. Aujourd’hui, la population est plus concernée par des problématiques collectives comme la santé, l’éducation, les infrastructures », dit-il. Rappelant le mot prêté au Général de Gaulle, selon lequel le Brésil ne serait pas un pays sérieux, l’économiste conclut : « de Gaulle a eu longtemps raison. Mais les choses changent. Nous sommes en train de devenir un pays sérieux ».
Esse é um blog de Clipping de Miguel do Rosário, cujo blog oficial é o Óleo do Diabo.
quarta-feira, 22 de setembro de 2010
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